Étrange parmi les pêcheurs.

Étrange avec notre long voilier élancé à côté de ces larges bateaux de travail.

Étrange amateurs de la mer à côté de ces hommes et quelques femmes qui travaillent sur l’eau depuis leur adolescence avec leur père.

Étrange qui suscite quand même la curiosité : « Vous venez d’où? »

Étrange qui suscite quelquefois l’envie : « Je changerais de place avec toi ce matin. »

Étrange dans ces ports de pêche faits pour les pêcheurs mais qui accommode volontiers le visiteur plaisancier : « Où est-ce que je peux m’amarrer? » « Tu vas où tu veux. »

Étrange, mais des leurs en même temps, tous partageant l’amour de la mer.

De moins en moins étrange quand on s’intéresse à eux : « Y paraît que la pêche au homard a été bonne cette année. »

De moins en moins étrange quand on va un peu plus loin : « C’est dur la pêche? » « Vous aimez ça? » « Ah! Vous avez vendu votre bateau à votre fils et vous pêchez avec lui. » « Ah! Votre fille enseigne à Québec et s’ennuie des Îles. » « Wow! Elle s’est trouvé un poste d’enseignante ici. »

Rapidement en lien : « Où est l’épicerie? » « Prenez mon camion, les clés sont dedans, je reviendrai le chercher ce soir. Dites-le-moi si avez besoin de quelque chose. »


La plaisance, c’est des centaines de voiliers et de cruisers (bateaux à moteur) à Québec. Une centaine au plus vont jusqu’à Tadoussac. Une dizaine va plus loin. La majorité s’arrête dans les marinas le soir, quelques-uns vont dans les baies pour mouiller (jeter l’ancre) et attendre la marée suivante sans toucher terre.


Passé Matane le monde change. La Gaspésie et la Baie-des-Chaleurs sont le monde des pêcheurs. Les ports sont faits pour eux. Il y a quelques endroits où des quais flottants sont aménagés pour les plaisanciers mais ce sont des pêcheurs qui prennent les places, ils sont chez eux. La plupart du temps, il faut s’amarrer à un grand quai beaucoup plus haut que le voilier. On s’approche et un équipier saisit l’échelle sur le quai pour monter 1 ou 2 m plus haut, saisir les amarres qu’on lui lance et amarrer le bateau. Il faut ajuster les amarres pour tenir compte de la marée. Il faut que les amarres soient assez longues pour que le bateau ne soit pas pendu à marée basse, et pas trop longues pour que le voilier ne soit pas trop loin du quai à marée haute. On regarde comment les pêcheurs s’ajustent. 


Les Gaspésiens et les Madelinots sont très gentils, accueillants et tolérants. En Gaspésie, tout le monde te tutoie (du moins sur les quais, on est des leurs par la mer quand même). Tu as besoin de quelque chose, pose simplement la question et une personne t’offrira son aide, et même souvent son auto.


Belle traversée de la Gaspésie aux Îles de la Madeleine. Partis à 10h le matin, nous mettons les voiles, arrêtons le moteur, et mettons le cap sur l’Étang-du-Nord aux Îles. Nous prendrons 19h à faire la traversée. Le vent est constant (15 à 18 nœuds – milles marin à l’heure) au près (à 40o de la provenance du vent). Le bateau gîte beaucoup. C’est un bon bateau, il prend bien la mer, il est stable. Le plus grand effort est pour cuisiner quand le bateau est penché à 30o. Rien ne tient sur les comptoirs, il faut s’accoter les fesses quelque part pour travailler, ça exerce les abdominaux et oblige à faire tout lentement. Une main pour se tenir, une main pour travailler. Dormir demande de chercher la bonne couchette, celle penchée du bon bord pour ne pas tomber par terre. On s’appuie l’épaule sur le dossier pour ne pas rouler et on essaie de dormir avec les mouvements et le bruit de la vague sur la coque. On dort 3 h car on sépare la journée en quarts. On fait avancer le bateau pendant son quart de veille, on se repose les 3 heures qui suivent. 19h de traversée n’est pas assez pour prendre le rythme des quarts. Au retour vers la maison, on essaiera de faire le trajet des Îles vers Baie-Comeau, 50h sans arrêt. On devrait alors prendre le rythme et dormir pendant son quart de repos.


Brume au départ de la Gaspésie. Vigilance. On connaît la position des cargos. Ils ont l’AIS qui nous permet de voir leur position et direction sur notre GPS-Map. Les pêcheurs n’ont pas ça. Ils ne veulent probablement pas révéler les endroits où ils pêchent, secrets transmis de père en fils ou en fille. Il faut donc les surveiller. Surtout ceux qui traînent un filet 3-400 m derrière eux. Catastrophe si on se prend la quille ou l’hélice là-dedans. Ils ont priorité et on se détourne. Heureusement, la brume ne dure pas. La nuit c’est le contraire. Les bateaux de pêche ont de puissants (très) phares à l’avant, on les voit de très loin. Les cargos n’ont aucune lumière outre leurs feux de position. Rouge à leur babord, vert à leur tribord, blanc à l’arrière. Un tout petit feu rouge peut être un très grand cargo. Heureusement, on a l’AIS à bord.


Voguer de nuit est spécial. Il a fait assez chaud pour que je traverse en bermudas (je n’ai pas mis de pantalon long depuis 3 semaines). Dans le milieu du golfe St-Laurent en bermuda, wow! La nuit à la pleine lune par un ciel dégagé, on voit presque comme en plein jour. Sans lune, ce sont les étoiles, des milliards. Avec les nuages, on ne voit rien. Et aucune terre à l’horizon pendant de longues heures. Il faut avoir confiance dans le bateau, à notre expérience en mer, et dans notre navigation. Belle expérience de solitude et de plénitude, simplement en admiration et en état de méditation devant la nature. Accueillir la présence de cette grandeur comme une amie. Et vivre cette expérience en la partageant avec Geneviève, mon amour, et des amis, Yvan avec qui je suis ami depuis 47 ans, et Josée sa conjointe que je connais depuis 30 ans, tous ensemble sur L’Émeraude. Merci L’Émeraude de nous offrir cela.


Les Madelinots ont terminé leur saison de pêche (pli et maquereau pour la bouette – appât pour les crustacés – ensuite le crabe et le homard. Ils réparent le bateau, enlèvent tout le gréement de pêche, mettent une table à pique-nique et des chaises, et repartent s’amuser sur l’eau avec leur bateau avec la famille et les amis. Ils aiment rire, chanter et fêter, c’est les vacances. La mer, c’est leur monde, c’est leur vie, c’est leur passion. D’ailleurs, quand le printemps arrive, ils ont hâte de repartir sur leur bateau.